La Mi-Carême de L’Isle-aux-Grues : un carnaval pittoresque et intime
Mi-mars… À Montréal, la neige a déjà cédé place aux gazons jaunis et détrempés.
Trois heures trente de route sur l’autoroute 20 et 5 minutes d’avion nous séparent de notre destination finale : L’Isle-aux-Grues.
Le paysage se transforme au fil des heures. On aperçoit le pont de Québec sur notre gauche. Ici, le beau manteau blanc tarde à se retirer. Il nous reste seulement une heure de route. La brume se lève peu à peu sur les terres agricoles. Quelques fermes aux toits grisâtres se succèdent et ponctuent l’horizon.
C’est le temps de la Mi-Carême. Ma mère qui fêtera bientôt ses quatre-vingts ans, se souvient très bien de cette tradition : une mascarade où les dévots s’autorisaient une trêve du « maigre et jeune », au beau milieu du carême, sans que monsieur le curé puisse les identifier.
Cette fête ancienne, spécifiquement française et catholique, tire ses origines du Moyen-âge. Elle se pratique encore dans quelques rares villages de France, au Carnaval de Paris, en Martinique, à la Guadeloupe, à Saint-Martin, du côté de la Nouvelle-Écosse et à l’île du Prince-Édouard. C’est en quelques sortes un carnaval en plein carême.
Au Québec, il ne reste que quelques villages qui fêtent encore la Mi-Carême : Fatima, aux îles de la Madeleine, Natashquan, au pays de Gilles Vigeault, à L’Isle-aux-Coudres, dans Charlevoix, et à L’Isle-aux-Grues. Cette dernière est située dans le fleuve Saint-Laurent juste en face de Montmagny et c’est là que nous vivrons la Mi-Carême.
Cette île de 160 habitants ne possède que deux petites auberges et quelques gîtes pour loger les touristes venus assister au carnaval du village.
Sur l’île, on y vit de l’agriculture surtout et de la fromagerie de l’île. La plupart des jeunes doivent se trouver du travail à l’extérieur de l’île. La Mi-Carême est l’occasion pour bon nombre d’entre eux de revenir à la maison fêter en famille.
Arrivés au petit aéroport situé à Cap-St-Ignace, en face de l’île, nous entrons dans un bâtiment de bois peint en blanc. Sur l’enseigne on peut lire Air Montmagny. Durant l’hiver, le seul moyen de rejoindre cette île du St-Laurent est par avion.
À l’intérieur, des gens attendent. Ils semblent tous se connaître. Les Islander de la compagnie font des aller-retours, transportant vers l’île une dizaine de passagers à la fois.
Les pilotes connaissent bien les vents du fleuve et l’épais brouillard qui tarde parfois à se lever. Ils assurent le transport quotidien des écoliers de l’île vers la terre ferme l’hiver, prenant la relève des voies maritimes paralysées par les glaces.
Ils assurent aussi la sécurité des insulaires en transportant le médecin en cas d’urgence. Mais aujourd’hui, ils transportent les amis et les touristes venus pour la Mi-Carême de l’Isle-aux-Grues.
J’adore l’instant où les roues de l’avion quittent le sol, le bruit des moteurs et l’odeur du carburant. Regarder les paysages à vol d’oiseau, le train d’atterrissage qui se découpe au-dessus des formes géométriques des terres agricoles, des glaces qui dérivent, de l’île et de ses petites maisons colorées.
Quelques minutes dans les airs et déjà c’est l’atterrissage. À l’aéroport, on vient nous chercher en voiture pour nous emmener à l’Auberge des Dunes.
Madame Vézina nous accueille avec le sourire. L’Auberge ne compte que neuf chambres. La nôtre a vue sur le fleuve où un bateau rouge et blanc se dresse sur le rivage. Durant l’été, son pont est aménagé en restaurant.
Lors de notre premier repas à l’Auberge, on nous a servi une soupe aux poivrons verts et rouges, une cuisse de canard confit avec des pommes de terre de couleur et des légumes, de bons fromages de l’île : le Riopelle, la tomme de Grosse-île et le Mi-Carème et finalement un dessert au sirop d’érable. Tout était délicieux. Nous avons été agréablement surpris par la qualité des produits.
La soirée de la Mi-Carême débute vers 20 h chez Édith qui nous permet d’assister à l’habillage. Elle et sont groupe ont confectionné leurs costumes durant l’année et c’est avec une grande fierté qu’ils vont les présenter ce soir. La thématique de ce groupe : Assassin’s Creed, un jeu vidéo dont l’univers évoque l’époque médiévale. Munis de leur CD de musique, ils partent ensuite pour la tournée.
La plupart des gens du village participent à la mascarade. À tour de rôle, des groupes de 5 à 10 personnes costumées se succèdent d’une maison à l’autre. On les attend avec beaucoup de fébrilité. On a placardé les fenêtres pour ne pas voir les participants qui se masquent sur le balcon. Ils sonnent à la porte, on entrouvre pour attraper le CD de musique sans regarder.
Aux premières notes, la porte laisse passer à tour de rôle une série de clowns, de belles Africaines, des personnages « Bling bling », des clochards ou des mousquetaires, tous plus spectaculaires les uns que les autres. Ils déambulent, boitant ou se dandinant afin de leurrer la maisonnée regroupée tout autour du salon.
Quelques-uns sont aussitôt démasqués sous les éclats de rire avant même la tombée des masques. La plupart réussissent à berner leur audience jusqu’à la fin.
Pour les remercier de leur passage, leurs hôtes distribuent des verres de bière. Comme ils visitent une douzaine de maisons, plus la soirée avance, plus leurs démarches sont expressives…
Vers 22 h, la tournée se termine à l’Auberge des Dunes, où attendent les quelques touristes et le reste du village réuni au bar. La même mascarade se répète, les enfants sont de la fête malgré l’heure tardive et s’émerveillent devant les costumes, ils sont euphoriques. On entend des noms criés par ceux qui ont deviné. La fête se poursuit ainsi jusqu’aux petites heures du matin.
Les costumes s’accumulent depuis des années dans les placards de cèdre des villageois. Ils possèdent maintenant une impressionnante collection.
Ils prennent cet événement très au sérieux et quand ils produisent de nouveaux costumes plus somptueux les uns que les autres, ils gardent jalousement le secret de leurs nouveaux atours. Comme l’événement dure toute la semaine, les participants s’échangent les costumes d’un soir à l’autre pour continuer de berner les gens.
Assister à la Mi-Carême de L’Isle-aux-Grues est une expérience fascinante et flamboyante. Les habitants de l’île sont si accueillants qu’on a l’impression d’être en famille et de partager une scène importante de la vie de ses habitants.
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